Retour sur Bpifrance Inno Génération (10 et 11 juin 2015)

  • 12 juin 2015
  • Temps de lecture: 5 min

Accélérer son développement numérique par la croissance externe

Le levier de la croissance externe peut aider à se déployer vite dans le numérique. Mais c'est un levier perçu comme risqué et défocalisant par les entrepreneurs.
Comment réussir une opération de croissance externe ?
Est-ce que cette stratégie est opportune en France ?
Fabien Bouskila, partner chez EY, a dressé les enjeux du débat sur l'accélération de son développement numérique par la croissance externe.

Pour aborder cet atelier, il a réuni tout d'abord Paulin Dementhon, le Pdg de Drivy qui a réalisé trois acquisitions en deux mois, et Cyril Zimmermann, le Pdg de Hi-Media, qui en compte "entre 15 et 20 depuis les années 2000".

"On a acheté trois sociétés en deux mois, qui faisaient la même chose que nous, en France et en Allemagne. L'idée était de gagner du temps, plutôt que de passer un an à s'implanter sur le marché allemand par exemple", a expliqué Paulin Dementhon.

Cyril Zimmermann a lui souligné la condition financière essentielle à la réussite d'une opération de croissance externe : "L'acquisition doit être soit relutive soit génératrice de cash flow. Souvent le payback est espéré autour de 3-4 ans, mais en pratique c'est plutôt autour de 5 ans."

BIG ECHO 1 - Accélérer son développement dans... par BIG-BpifranceInnoGénération

Intégrer les équipes, une mission à haut risque

Les deux entrepreneurs ont détaillé le risque d'échec dans l'intégration des équipes de deux sociétés réunies. "Il faut garder les équipes pour avoir un projet. Tous les cas de figures sont imaginables : certains entrepreneurs dont l'entreprise a été rachetée partent pour créer autre chose, d'autres restent au-delà du temps de l'intégration. Une question à se poser est la rémunération pour les actionnaires, managers et non managers pour réduire le risque de démotivation post-deal", a indiqué Cyril Zimmermann.

Paulin Dementhon a confié que c'est bien cette question qui lui a donné matière à hésiter avant de se lancer dans des opérations de croissance externe : "Nous étions 35 dans l'entreprise avant ces acquisitions. On avait un vrai dilemme : faut-il y aller, être consolidateur, ou se concentrer sur l'amélioration de notre produit ? La première intégration est compliquée, mais ensuite, les mécaniques sont connues. Aujourd'hui nous savons comment faire."

Savoir jeter l'éponge

Cyril Zimmermann a précisé qu'il faut savoir renoncer et mettre un terme à des négociations en cours.

"Quand vous êtes dans une logique d'acquisition, que vous avez consacré du temps à la négociation, que vous avez mobilisé des conseils extérieur, parfois vous perdez la notion de réalité : est-ce le bon prix, est-ce que des événements extérieurs ne sont pas apparus depuis, venant remettre en question l'opportunité de l'opération ? Il faut être capable d'arrêter la négociation à tout moment. D'autant que, comme le dit l'entrepreneur britannique Richard Branson, "les deals de M&A (fusions et acquisitions), il y en a autant que des bus. Il suffit d'attendre le prochain."

Ce point a été repris par les deux intervenants suivants, Olivier Mathiot de Priceminister et Philippe Colombel de Partech Ventures.

"Une acquisition sur deux n'est pas génératrice de valeur. Pour un entrepreneur, une acquisition est toujours très risquée. Mais pour un investisseur aussi, on peut perdre de vue l'essentiel. Il y a un moment où l'on se convainc que l'opération est bonne, alors qu'il faut arrêter", a confié Philippe Colombel.

Votre entreprise est-elle aussi prête que vous l'êtes ?

Et de poursuivre : "Quand le board pousse un Pdg à faire une acquisition, c'est le meilleur scénario pour un drame : il ne faut jamais forcer le management ! Souvent, ce ne sont pas les manager qui peuvent ne pas être prêts à l'acquisition, mais c'est l'entreprise."

Olivier Mathiot a abondé, en témoignant de son expérience : "En 2007, nous avons fait plusieurs acquisitions. En tant qu'entrepreneurs, on s'était mis en tête ce projet comme un défi. Introduction en bourse et consolidation, c'était une belle histoire à raconter ! Nous avons alors acheté quatre sociétés en quelques mois. Est-ce que l'entreprise PriceMinister était prête à absorber ces sociétés? La suite a montré que non. Les synergies, comme souvent, se sont avérées plus faibles que prévu, pour des raisons technologiques et humaines. L'opération s'est terminée en revente par appartements."

Il recommande de provisionner dans les comptes les frais d'intégration de la cible, en prévoyant d'investir la moitié de la somme dépensée pour l'achat.

Une nouvelle énergie en France

"Etre bien financé est un préalable à la réussite d'une acquisition réussie. Jusqu'à présent en France, il n'y avait pas de fonds pour accompagner la croissance. C'est en train de changer. Nous lançons Partech Growth, un fonds doté de 300 millions d'euros", a souligné Philippe Colombel

"Les Français étaient jusque-là considérés comme des proies, mais cela change aujourd'hui : les Français peuvent être des acquéreurs", a souligné Olivier Mathiot.

Enfin, la question de l'internationalisation par acquisition a été explorée avec Jérémy Uzan, d'Alven Capital, et Olivier Sichel, de Leguide.com.

"Ce n'est pas parce qu'on est bon en France qu'on sera bon sur les marchés étrangers. Dans ce cas, l'acquisition peut être une solution opportune", a affirmé Olivier Sichel.

S'entourer pour les opérations à l'international

Il recommande de s'entourer pour préparer une opération de croissance externe à l'international. "Les banquiers d'affaires peuvent vous aider à faire de la veille, à identifier les cibles et à préparer la négociation. Ils sont des intermédiaires à forte valeur ajoutée pour l'entrepreneur, qui font gagner du temps."

Jérémy Uzan, d'Alven Capital, nuance : "Les intermédiaires sont importants. Mais d'après à mon expérience, le banquier d'affaires n'est pas nécessaire à l'entrepreneur quand on est une société de petite taille, qui décide d'un rapprochement au feeling entre les dirigeants, un peu par opportunisme. En revanche, le banquier d'affaires est pertinent dans le cas d'une stratégie d'acquisition dans une société un peu plus grosse qu'une start-up."

Envisager le pire pour viser le meilleur

Olivier Sichel a adressé un dernier conseil à méditer avant de se lancer : "Il faut évaluer le scénario noir avant de se lancer dans une acquisition : en cas d'échec, est-ce que votre entreprise est menacée, ou pourra-t-elle résister ?"

 

"Une acquisition n'est pas qu'une stratégie financière, le fruit d'une réflexion : la clé de la réussite, c'est l'humain. Les interactions et les valeurs portées par les équipes doivent faire l'objet d'une grande attention, autant que l'étude des fondamentaux", a conclu pour sa part Jérémy Uzan.