Diamant naturel ou de synthèse : un match au sommet

Longtemps boudé par les joailliers de renom, le diamant de synthèse s’installe aujourd’hui dans les plus belles vitrines de la Place Vendôme. Entre arguments marketing parfois mensongers, enjeux environnementaux ou économiques, retour sur le duel que se livrent diamant naturel et diamant de synthèse. 

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diamant

« J’ai vraiment senti un engouement du public pour le diamant de synthèse après le film Blood Diamond et le financement par Leonardo DiCaprio de Diamond Foundry [ndlr : une entreprise de diamants artificiels basée à San Francisco] » se rappelle Alix Gicquel, présidente de Diam concept, une start-up spécialisée dans la production de diamants de haute qualité, éthiques et éco-responsables. En janvier 2007, Blood Diamond, le film réalisé par Edward Zwick et interprété par l’acteur Leonardo DiCaprio, sort dans les salles du monde entier. Il fait immédiatement l’effet d’un tremblement de terre dans l’industrie très discrète du diamant. En dénonçant le marché des « diamants de sang » - des diamants issus du continent africain, et qui alimentent de nombreuses guerres - le film interroge les spectateurs sur le rôle qu’ils ont à jouer dans la société de consommation, et sur le véritable coût social et humain de certains objets de luxe. Une prise de conscience qui incite un grand nombre d’entre eux à se tourner vers des joaillers offrant une meilleure traçabilité, et plus largement, une meilleure éthique, de leurs pierres. 

Initialement créé à des fins industrielles (forages miniers, recherches pétrolières, augmentation de l’autonomie des véhicules électriques), le diamant de synthèse s’est depuis peu frayé un chemin dans le secteur de la haute joaillerie. De Beers, célèbre diamantaire sud-africain est l’une des premières maisons à créer une filiale entièrement dédiée à la synthèse du diamant et à sa reconnaissance. Plus récemment, c’est la maison de joaillerie Courbet qui s’est rapprochée de Diam concept, la start-up d’Alix Gicquel, pour s'approvisionner en diamants de synthèse. « A l’époque où j'ai rencontré Manuel Mallen, le co-fondateur de Courbet, nous n’avions que des petits diamants de couleur, mais il a immédiatement vu le potentiel de ce produit » ajoute la dirigeante.
A l’œil nu – et même au microscope - rien ne permet de le distinguer du diamant naturel, à moins d’être doté d’un appareil spécifique. Au niveau moléculaire, les deux diamants sont identiques et possèdent différentes qualités, c’est-à-dire plus ou moins pur et plus ou moins blanc. « Notre méthode consiste à créer un plasma composé d’hydrogène moléculaire et de méthane », explique Alix Gicquel. « La décharge de plasma est établie dans une cavité résonante à micro-ondes formant les éléments clés pour la croissance du diamant. On peut mettre entre 3 semaines et un mois à obtenir un diamant ». Un délai qui augmente en fonction de la blancheur que l’on souhaite atteindre.

Le mal aimé des diamantaires 

Si certaines maisons choisissent de se lancer dans le diamant de synthèse, le secteur de la joaillerie reste néanmoins assez frileux face à ce nouveau venu, comme le souligne Edouard Monges, consultant en gemmologie. « Les diamantaires accueillent encore très mal les pierres de synthèse. Même s’ils sont majoritairement conscients que le diamant naturel est loin d’être éco-responsable la quasi-totalité du temps, ils préfèrent encore se tourner vers ce dernier, plutôt que vers le diamant de synthèse qui, pour certains, est loin d’être aussi écolo qu’il n’y parait !». 
Actuellement, le processus le plus majoritairement utilisé est le « Chemical Vapor Deposition » (CVD). Relativement peu énergivore – même si certains détracteurs pointent du doigt sa forte consommation en électricité - il produit, en France, moins de 20 kg de CO2, alors qu’une pierre d’un carat taillée et extraite émet environ 160 kg de CO2. Un processus nettement moins gourmand que ne l’était la technique HPHT (Haute Pression, Haute Température) qui émettait environ 511 kg de CO2 contre 160 pour un diamant naturel.  
« Le diamant qui offre un bilan carbone, énergétique et écologique imbattable, c’est le diamant de famille qui vient de la grand-mère voire même d'avant ! Puis vient les pierres alluvionnaires* de petites exploitations artisanales. On peut l’extraire facilement du lit de petites rivières, sans matériel sophistiqué, des gisements alluvionnaires qui affluent parfois à la surface des cours d’eau sous forme de graviers minéralisés ». 
En 2018, c’est au tour de la maison de joaillerie Gemmyo de se lancer dans la commercialisation de diamants de synthèse. En proposant à ses clients de choisir entre les deux types de pierres, la marque va à l’encontre des mentalités de maisons telles que Cartier, Tiffany and Co ou Van Cleef and Arpels qui jugent le diamant de synthèse comme une hérésie. « L’Union Française de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, des Pierres & des Perles (UFBJOP), dont nous faisons partie, est très active pour mettre en garde contre le diamant de synthèse », note Charif Debs, CEO et co-fondateur de la maison Gemmyo. « Et à l'inverse, les nouveaux acteurs des pierres de synthèse tentent de leur côté de diaboliser le diamant naturel pour grossir et se faire connaitre ».  

Diamant “éco-responsable” : une appellation marketing ? 

« Dans le terme « éco-responsable » il y a une sorte de jugement de valeur, qui force déjà la main à ceux qui choisissent le diamant de synthèse. D’ailleurs, en tant que commerçant, je n’ai pas le droit d’utiliser le terme « diamant éco-responsable », note Charif Debs. 
Au-delà de l’aspect financier qui permet aux joailliers de réaliser une vraie plus-value par rapport à un diamant naturel, la stratégie marketing des maisons de joaillerie qui proposent des diamants de synthèse est également d’attirer une nouvelle clientèle, qui d’ordinaire n’a pas forcément les moyens de s’offrir un diamant. Cependant, même s’il a l’aspect, la brillance et la pureté de « l’original », ce diamant ne leurre pas les clients qui « sont tous conscients qu’il n’a pas de valeur intrinsèque. D’autant plus aujourd’hui alors que la production augmente et que de fait, le prix ne fera que baisser ». Mais alors est-ce seulement le prix qui pousse les acheteurs à s’orienter vers ce type de pierre ou est-ce le reflet d’un engagement écologique ? Pour la clientèle de Gemmyo, les deux arguments se retrouvent à égalité la majorité du temps, même si le co-fondateur reconnait que le prix peut parfois l’emporter sur les convictions environnementales et sociales. 
Edouard Monges note quant à lui que « les personnes qui prônent une consommation plus respectueuse, sont bien conscientes que ce n’est pas avec un diamant de synthèse qu’elles feront la différence ». Selon le consultant gemmologue, les principaux acheteurs de diamants de synthèse sont pour le moment majoritairement des femmes. « Ce n’est pas le mari ou l’amant qui va se tourner vers ce type de pierre, ou s’il le fait, il préfèrera faire croire que c’est un vrai diamant ! ».

Fait peu abordé dans la communication des marques de joaillerie, le secteur peut pourtant se targuer d’une exemplarité en matière d’économie circulaire, car en joaillerie, on ne jette rien ! 
Contrairement à la maroquinerie, la lunetterie ou les bijoux fantaisies, la joaillerie fonctionne en circuit fermé et ne jette pas un gramme d’or, d’argent ou de platine. Les pierres sont desserties puis remontées sur de nouveaux bijoux. « Au final, il ne nous reste jamais de stock sur les bras. C’est pour ça que nous ne proposons pas de soldes » affirme Charif Debs, CEO et co-fondateur de Gemmyo. 
C’est d’ailleurs l’argument de l’entreprise qui œuvre à montrer le cercle vertueux du secteur que ce soit écologiquement et socialement, car il fait appel à de nombreux savoir-faire artisanaux. 

Diamant naturel, diamant de synthèse, quel avenir ? 

Mais alors, quel avenir pour ces deux pierres ? Est-ce que le diamant de synthèse viendra progressivement remplacer le diamant naturel ? Pour Alix Gicquel, présidente de Diam concept, les joaillers ne pourront pas échapper à l’utilisation du diamant de synthèse. « L’extraction de diamants est en train de diminuer de façon vertigineuse. En 2050 on aura 4 fois moins d’extraction de diamant de mine qu’aujourd’hui ». Un avis que remettent en question le co-fondateur de Gemmyo et le consultant en gemmologie pour qui le marché du diamant n’est pas près de s’éteindre du fait de gisements encore très importants et d’un marketing solide depuis plus de 150 ans, très axé sur la nature.
« Je pense que le diamant de synthèse a un avenir, mais pas du tout tel qu’on nous le présente aujourd’hui. », précise Charif Debs, co-fondateur de Gemmyo. « Il est inévitable qu’il se répande et que de plus en plus de gens en portent. Je pense que les deux marchés cohabiteront, de la même façon qu’aujourd’hui vous avez un marché de la photographie de grandes séries et un marché de photographies d’art originale ». 
Pour le co-fondateur de Gemmyo, même si le résultat n’a pas été concluant pour l’entreprise qui a discontinué la vente de diamants de synthèse au vu de la faible demande de sa clientèle, il y a fort à parier pour que l’écart de prix se creuse entre les deux pierres. Aujourd’hui, le diamant de synthèse coûte entre 30 et 50 % moins cher que le diamant naturel. Mais d’ici 5 ans, Charif Debs envisage une pierre à 20 % du prix du diamant naturel, voire 5 % d’ici 30 ans. « Je pense que la bascule se fera sur les pierres de couleur. Certaines, comme la tanzanite ou le rubis, vont se rarifier beaucoup plus vite que le diamant. On remarque déjà des difficultés à trouver des cristaux naturels, donc je pense que les prix ne tarderont pas à flamber et pousseront certains joaillers à se tourner vers des pierres de synthèse ». 

* Diamant que l’on va rechercher directement dans les graviers alluvionnaires : un dépôt de débris, tels du sable, de la vase, de l'argile, des galets, du limon et des graviers, transportés par de l'eau courante.
 

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Mélanie Bruxer Rédactrice web