« ETI et Mittelstand allemand : deux notions au contenu très différent ! »

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Peut-on comparer les Entreprises de Taille Intermédiaire françaises au Mittelstand allemand ?

C’est très difficile de comparer les deux car ils recouvrent des notions économiques et culturelles différentes. Les ETI françaises sont une catégorie statistique depuis 2008 et le sigle ETI ne fait pas partie du langage courant contrairement au terme de PME.

En Allemagne, le terme de "Mittelstand" est une notion courante pour désigner tant l'artisan que l'entreprise de plus de 1 000 salariés. Le Mittelstand renvoie à l’idée d’entreprises familiales, indépendantes avec un attachement fort à leur territoire et une inscription dans la durée. C’est une catégorie finalement plus culturelle que statistique.

Il existe presque autant de définitions du Mittelstand que d’études sur le sujet ! Il est important de replacer cette notion dans son contexte historique pour en comprendre toute la spécificité. C’est une catégorie socio-économique qui s’est imposée après la seconde guerre mondiale. Après 1945, plusieurs grands groupes industriels sont dissous car très liés à l’économie de guerre nazie. Il est vital pour l'Allemagne de marquer une césure visible et les pères du modèle d’économie de marché sociale vont promouvoir avec force un Mittelstand synonyme de liberté, de responsabilité et de concurrence retrouvée. Cette fonction du Mittelstand comme acteur et garant d’un marché concurrentiel est essentielle pour les Allemands. De petites et moyennes entreprises vont émerger.

Et la France ?

La France a davantage fait le choix de développer des champions nationaux notamment dans le domaine des industries de haute technologie - le nucléaire, l'aéronautique, l'aérospatiale et l'électronique. Il est essentiel de se souvenir que nous avons devant les yeux deux modèles d’industrialisation très différents où les interactions entre l'Etat, l'industrie le territoire ne sont pas de même nature.

Outre cette différence de définition, quels sont les éléments qui distinguent les ETI françaises du Mittelstand allemand ?

Il y a déjà une différence concernant la transmission familiale. En Allemagne, la transmission de l'entreprise à un héritier est une aspiration et elle est perçue comme légitime par les acteurs socio-politiques. La reprise de l’entreprise par un héritier ou sous contrôle familial est jugée comme un atout. Des dispositifs, comme celui de la fondation, existent pour accompagner cette transmission ; ils permettent une inscription dans la durée et évitent de voir l’entreprise se faire racheter. En France, la transmission à l’héritier n’apparaît pas a fortiori comme une solution à privilégier pour préserver l'indépendance de l'entreprise. Pourquoi une entreprise resterait-elle dans le giron familial ? Le capitalisme familial recouvre très vite en France une dimension idéologique et suscite un positionnement "pour" ou "contre", a contrario les entreprises familiales allemandes sont davantage traitées comme un pilier de la performance économique.

Autre différence, la structure fédérale de l’Allemagne, le morcellement du pays jusque tard dans le XIXe siècle en de multiples principautés et petits royaumes a obligé les Allemands à franchir les frontières de leur territoire, à partir à la conquête et à coopérer. Cela explique certainement leur appétence pour l’export et le commerce car une entreprise qui voulait grandir devait « exporter » vers les territoires voisins. Il n’y a qu’à se rendre dans l’une de ces nombreuses « foires » où les industriels allemands sont omniprésents pour toucher du doigt ce phénomène. Elles sont un condensé de cet esprit de conquête, du chasser en meute et de la promotion de la technologie industrielle allemande.
En France, nous avons une culture d’économie nationale, ce qui explique cet attachement pour les grands groupes industriels emblématiques.

Chacun a ses champions ?

Tout à fait, les grands groupes sont nos champions. En Allemagne, quand on parle de champions, on pense plutôt à des ETI ou à des belles PME qui sont positionnées comme leaders mondiaux B to B sur des marchés de niche.
Essayons de changer de prisme et regardons la bouteille à moitié pleine ! Nous avons en France de très belles entreprises de taille intermédiaire, avec un positionnement stratégique très favorable, une grande agilité, un management familial innovant. Elles ont souvent plus de 100 ans et elles ont traversé les crises, avec souvent à leur tête la cinquième génération de la famille fondatrice. Faisons de ces entreprises, une catégorie visible ! C’est l’ambition de Bpifrance avec le projet ETI 2020.

Il faudrait donc changer notre manière de voir ?

Changer de lunettes ! C'est toute la difficulté car le Mittelstand est presque plus un mythe pour les Français qu'il ne l'est pour les Allemands. L'étude sur les trajectoires de croissance d'ETI* réalisée pour Bpifrance donne plusieurs pistes pour regarder les ETI différemment et être dans une plus grande proximité par rapport aux besoins des entrepreneurs. Changer d'échelle, en zoomant sur les entreprises de taille intermédiaire en région constitue déjà une première étape.

* étude prochainement en ligne

Les ETI françaises ont donc des qualités ! Comment leur redonner confiance pour qu’elles se comparent moins avec l’Allemagne ?

Nous faisons l’hypothèse que les ETI françaises ont plus besoin de reconnaissance que de se voir redonner confiance. D’ailleurs, elles ne recherchent pas forcément plus de visibilité. Les plus secrètes ne sont pas les moins performantes, surtout si le niveau de R&D est élevé et le positionnement concurrentiel favorable. Mais elles ont besoin qu’on les regarde autrement. En France, on parle beaucoup des grands groupes, des start-up… Les politiques se sont peu appropriés cette notion d’ETI, alors qu’en Allemagne, la structure fédérale crée de fait une proximité avec le tissu économique local.
Et puis certaines ont besoin d’un accompagnement ciblé et de proximité pour oser des projets qui sont dans les cartons mais qu’elles n’ont pas eu le temps, les moyens ou l'opportunité de lancer.