Gilles Babinet : « Le prochain “megatrend” sera une forme de fusion entre technologie, résilience et environnement »

TRIBUNE. Gilles Babinet, entrepreneur, vice-président du Conseil National du Numerique, professeur associé à Sciences Po, et « digital champion » pour la France à la Commission européenne, nous livre ses pronostics et conseils pour entreprendre à l’heure du « monde d’après ».

  • Temps de lecture: 2-3 min

J’ai monté des entreprises dans des domaines aussi différents que le bâtiment, le design, la musique, les services B2B online, les outils décisionnels. À chaque fois en essayant de coller au temps qui vient. Ma première entreprise par exemple faisait des travaux d’alpinistes dans le bâtiment. Aujourd’hui c’est banal, à l’époque, il y exactement 30 ans, c’était révolutionnaire.

Je me demande souvent quel va être le prochain « megatrend » ; le segment qui va tout emporter et qui, comme l’internet, les télécommunications mobiles ou les transports aériens va changer le monde et créer un univers économique à lui tout seul.

Évidemment, depuis une décennie beaucoup pointent les secteurs liés à l’environnement. Il y a toujours quelqu’un pour évoquer l’opportunité que représenterait la construction de panneaux solaires ou la production d’énergie verte. Beaucoup d’entre nous aimeraient mêler entrepreneuriat et sens, sans pour autant avoir à l’esprit le niveau exceptionnellement élevé de compétition qui règne dans cet univers.
Pour être capable de détecter ce « megatrend », il faudrait pouvoir observer les inefficiences de marché, la façon dont elles s’inscrivent dans une évolution globale, et l’impact que la technologie pourrait y avoir. Enfin, chercher à mesurer le niveau d’usage de la data dans un secteur. S’il est élevé, cela signifie que le potentiel entrepreneurial est plus faible dans la mesure où les gains de productivité ont déjà été réalisés.
Autant le dire tout de suite, les services B2C, à la personne, me semblent généralement largement préemptés par nos amis américains et dans une moindre mesure, chinois : GAFAM, NATU et BATX pour commencer. En revanche, trois univers B2B me semblent à fort potentiel.

  • Celui de l’industrie : il s’agit d’un domaine où les processus productifs sont restés les mêmes depuis des décennies. Or, les usines intelligentes sont en train de survenir et d’une façon générale, la data devient déterminante dans la compétitivité des acteurs industrielles.
  • Celui des supply-chain, où le développement d’une économie plus intégrée va pousser à créer de nouvelles dynamiques de proximité avec des flux beaucoup plus asynchrones qu’auparavant. Les supply-chains sont déterminantes pour accroître la résilience d’un système productif.
  • Ceux de l’agriculture où les processus productifs ont également peu évolué.

Dans ces trois domaines, la data est omniprésente. Dans l’agriculture, ce sont des centaines de variables qu’il faut traiter pour réussir à faire convenablement son travail. Il devient difficile de ne pas envisager que le métier recoure massivement à la technologie dans les années à venir, s’il veut être compatible avec le monde qui vient.

Et en fait, c’est peut-être cela le prochain « megatrend » : une forme de fusion entre technologie, résilience et environnement. Qu’il s’agisse d’industrie, de supply-chain ou d’agriculture, la seule façon qu’ont ces métiers de se révolutionner et de rentrer dans le XXIe siècle, c’est d’utiliser la data pour totalement refaire leur ingénierie productive : faire plus avec moins, et utiliser davantage de ressources disponibles.
Or, l’Europe est idéalement placée à cet égard : elle est déjà la plus avancée des grandes économies en matière d’émissions par unité de PIB avec 0,18 kg de CO2 généré par dollar de richesse produite, là où les États-Unis sont à 0,32 kg/$ et la Chine à 0,59 kg/$. De plus, elle dispose d’une forte expertise scientifique sur les sujets d’environnement, d’une volonté politique affirmée.
Beaucoup de facteurs qui permettront peut-être à des entrepreneurs audacieux de construire les géants de demain.