L’Inde : "Make in India"

La France est l’un des plus importants investisseurs en Inde. Alors que le nouveau 1er ministre Narendra Modi est au pouvoir en Inde depuis 6 mois et a mis en place plusieurs programmes, comme la campagne "Make in India", nous avons souhaité faire un focus sur ce pays. Pierre Lignot, directeur Ubifrance en Inde, nous répond. Interview.

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1. Est-ce le moment de s’intéresser au marché indien ?

Pour bien comprendre la situation actuelle du marché, il est nécessaire de rappeler le contexte économique de l’Inde sur les années précédentes. Le pays a vécu une période de gloire sur la première décennie des années 2000 avec un taux de croissance annuel de l’ordre de 9 à 10 %, avant de connaître un fort ralentissement en 2012. La croissance n’était plus que de 4,6 % en 2013. Différents facteurs expliquent cette forte dégradation : une détérioration du commerce extérieur, une diminution des investissements étrangers, un ralentissement de la demande des ménages, de fortes tensions inflationnistes, un creusement du déficit budgétaire, une forte dépréciation de la Roupie, le tout sanctionné fin 2012 par une dégradation de la note du pays par les agences de notation.

Les élections de 2014 et l’arrivée du nouveau 1er ministre Narendra Modi dont la campagne était axée sur la relance de l’économie indienne ont inversé cette tendance. Son programme mettait l’accent sur la simplification de l’administration et la relance de l’économie avec plusieurs programmes mis en place depuis, comme la campagne make in India, le développement urbain avec une centaine de smart cities, la poursuite de l’ouverture de l’économie aux investisseurs étrangers dans les secteurs de l’assurance, de la grande vitesse ferroviaire, des industries de défense et le projet d’uniformisation du taux de TVA sur l’ensemble du territoire qui sera discuté dans le budget 2015.

Ces annonces, et les réformes qui commencent à être mises en œuvre, ont galvanisé le moral des Indiens et la relance économique du pays est bien là ! La consommation des ménages reprend, les flux d’investissements étrangers redeviennent importants, les exportations indiennes repartent également à la hausse, l’inflation diminue… Tous les indicateurs montrent que c’est le moment d’investir.

2. Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs qui cherchent à entrer sur le marché indien ?

L’Inde n’est pas un pays facile pour faire des affaires, notamment pour les PME ou TPE primo exportatrices. Il est important de bien se préparer et de prévoir un investissement sur le long terme.
Le marché en Inde se concentre sur les grands centres urbains et industriels comme Bombay - Puné, Delhi – Gurgaon – Noida, Bangalore, Chennai, Calcutta, Hyderabad. Il est judicieux dans un premier temps de cibler ces villes pour ensuite étendre son réseau de distribution vers d’autres zones urbaines (plus de 60 villes de plus d’1 million d’habitants). Les Indiens sont en attente de produits high tech, low cost. Il faut donc arriver avec une technologie qui soit adaptée aux besoins du pays, robuste et à prix abordable.

Même s’il n’est pas obligatoire de trouver un partenaire pour faire des affaires en Inde cette étape est souvent incontournable. Il faut toutefois ne pas se tromper de partenaire. Ce qui n’est pas très simple car les comptes ne sont pas toujours très transparents. Il est donc nécessaire de bien s’entourer notamment pour la rédaction des contrats car, en cas de litige, les procédures engagées devant des tribunaux indiens peuvent être très longues (privilégier un arbitrage international). Il faut compter 4 ans avant qu’un jugement ne soit rendu.
L’essentiel du tissu économique est constitué de PME. Il y a donc d’intéressantes associations à faire avec les entreprises indiennes ou des possibilités de rachat.

3. Y-a-t-il des différences culturelles à connaître avant de négocier avec les gens sur place ?

Il y a des différences notables sur le plan culturel à prendre en considération pour bien communiquer avec les Indiens. Le secteur privé indien est constitué d’entreprises familiales, les innombrables PME, bien sûr, mais également les grands conglomérats diversifiés comme Tata, Mahindra, Godrej, Reliance, Wipro,… et cela se ressent dans la gestion de l’organisation. Les entreprises sont souvent gérées comme des familles ; même si vous traitez directement avec le directeur commercial au final seul le patriarche prendra la décision.
Les qualités personnelles sont donc très importantes dans les relations d’affaires. Les entreprises françaises doivent gagner leur confiance. Les Indiens peuvent d’ailleurs poser des questions très personnelles sur lesquelles il ne faut pas s’offusquer. Il s’agit simplement pour eux de vous situer sur l’échelle sociale. Il est également indispensable de rester humble même si vous arrivez avec un produit innovant. Les Indiens doivent se sentir valorisés et avoir le sentiment qu’ils pourront vous apporter une contrepartie. L’échange doit être équilibré.

Autre point important, l’appréhension du temps qui est très différente.
Les décisions peuvent être longues puis s’accélérer brutalement. Il faut être préparé à cela. Pour l’anecdote, en hindi, « hier » et « demain » se disent de la même façon !

4. Quels sont selon vous les secteurs porteurs ?

Beaucoup de secteurs en Inde sont porteurs mais pour en citer quelques-uns :

• l’agro-alimentaire (équipement, chaine du froid, logistique)
• les nouvelles technologies et les Telecom

Le développement des smart cities, qui est une priorité du nouveau gouvernement et de nombreux Etats indiens, est un vrai challenge pour l’Inde. 300 millions de personnes vivent en zone urbaine et d’ici une quinzaine d’années, cette population devrait doubler ce qui va engendrer de nouveaux besoins en termes de :

• infrastructures de transports (métros, tramways, corridors dédiés…)
• distribution en eau
• réseaux électriques (smart grids)

Autant d’opportunités à saisir pour les entrepreneurs français !