Monter une filiale à l'étranger

S'internationaliser fait désormais partie de la stratégie de nombre de PME. La débrouillardise et de bonnes relations sur place sont les maîtres mots de l'aventure. Mais, avant tout, il faut oser !
A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, Bpifrance est allé à la rencontre de 3 d'entre elles pour nous faire part de leur expérience.

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Exporter un concept qui peut aisément se décliner hors de l'Hexagone, diversifier sa base de clientèle, aller à la rencontre de clients étrangers déjà en portefeuille : les raisons d'ouvrir une filiale à l'étranger sont nombreuses. Mais une fois la décision prise, il faut fourbir ses armes. Pour les PME, cela signifie souvent lever des fonds, s'enquérir des aspects administratifs, en particulier hors de l'Union européenne, et explorer la destination pour réussir l'implantation. Les petites structures peuvent également s'appuyer sur les services que la France met à leur disposition dans ses réseaux diplomatiques. Mais cela ne les dispensent pas d'envoyer au moins un salarié - débrouillard - sur place pour monter la filiale...

A la conquête de la Californie

Nora Touré

C'est ce qu'a fait Sculpteo, une société parisienne spécialisée dans l'impression 3D, en demandant à Nora Touré, 26 ans à l'époque, de partir créer sa filiale aux Etats-Unis. De fait, l'analyse du portefeuille clients révélait que 30 % étaient américains. L'intérêt d'être plus proche d'eux paraissait donc évident. Après la signature de plusieurs contrats avec Amazon, eBay et Staples, Sculpteo opte pour San Francisco. Mais les clients ne font pas tout. Il faut gérer les démarches administratives pour s'implanter, et trouver un lieu physique. Pour Sculpteo, ce sera d'abord un statut d'investisseur pour Nora Touré, et un espace de coworking, Parisoma, géré par un cabinet français spécialisé dans les start-up et l'innovation, Fabernovel. « J'avoue que parfois, je ne savais plus par où commencer », dit-elle. En plus d'un lieu de travail, la jeune femme doit non seulement trouver un appartement (et les loyers sont très élevés à San Francisco), mais aussi démarcher de nouveaux clients, sans oublier de cultiver les liens avec les équipes en France, afin de préserver la confiance... Le décalage horaire ne facilite pas les échanges avec Paris. « Et les emails peuvent être mal interprétés », relève Nora Touré.

Un service qui peut être déployé partout dans le monde

Sandrine Huet

Si Sandrine Huet, directrice commerciale de WYZ Automotive Iberia, n'a pas pâti d'un décalage horaire, puisqu'elle a monté la filiale de WYZ Groupà Barcelone, elle s'est heurtée aux mêmes problèmes que Nora Touré en ce qui concerne l'appartement et le bureau. Côté bureau, elle a finalement décroché un espace dans un bâtiment mis à disposition de PME et de start-up par la Mairie de Barcelone, après avoir visité plusieurs lieux « remplis de geeks », et demandé pas mal de tuyaux. Côté appartement, « c'était vraiment la galère », dit-elle. Les propriétaires sont encore plus exigeants depuis la crise de 2008, et son seul salaire, en provenance d'une start-up française, qui plus est, la mettait en difficulté face à des Espagnols mieux lotis. Au début, elle se contente de chambres d'hôtels, puis de co-locations. « Même si je m'accrochais, je ressentais une grande solitude », avoue-t-elle aujourd'hui. Au point que le Pdg de WYZ Group lui propose... d'arrêter de travailler pendant une semaine, pour privilégier la recherche d'un lieu de vie. D'ailleurs, il fallait oser implanter une filiale en Espagne : à la fin 2010, lorsque Sandrine Huet s'embarque, le pays se remet à peine de la crise. Décision est prise de n'ouvrir une filiale qu'une fois avoir engrangé un gros contrat. Aujourd'hui, Sandrine Huet se concentre sur les clients, a embauché, avec l'aide de l'équipe à Compiègne, une salariée pour gérer leurs comptes, et s'est même lancée dans l'implantation d'une nouvelle filiale au Portugal, là aussi avec le soutien d'un collaborateur en France. Et la société, qui dispose également d'une filiale en Belgique, en inaugure ces temps-ci une autre en Suède, avant l'Allemagne... Car après tout, déclare Pierre Guirard, le Pdg de WYZ Group, « les industriels, constructeurs automobiles et manufacturiers, ont une présence mondiale. Notre système, qui répond à une attente de leur part, peut donc être déployé partout dans le monde... »

Quant à Nora Touré, après une nouvelle levée de fonds de Sculpteo, en 2015, elle a carrément ouvert une usine, à Oakland, dans la banlieue de San Francisco, pour fabriquer directement sur place et servir au mieux les clients américains, dont la proportion est passée de 30 % à 45 % dans le portefeuille clients.

Gérer les différences culturelles

Laure Wagner

Pour BlaBlaCar, exporter son concept de co-voiturage au delà des frontières était une évidence... Et la société n'a même pas attendu d'être rentable pour faire le grand saut ! Une stratégie qui l'a fait passer du statut de start-up à celui de licorne en quelques années. De fait, après avoir constaté l'engouement du public pour son service, BlaBlaCar lève des fonds, en juin 2014, pour financer son développement à l'étranger. « Nous avons trouvé des investisseurs qui nous ont fait confiance », se félicite Laure Wagner, porte-parole et première salariée de la plateforme de co-voiturage. Filiale ou partenariat à l'étranger ? Les deux options étaient envisagées. « Nous savions qu'il existait un site de co-voiturage en Italie et un autre en Pologne, se souvient Laure Wagner. Mais comment repérer des sites, ailleurs, qui n'avaient pas encore été lancés ? » La société décide de rechercher des spécialistes du web, à défaut du co-voiturage. Les investisseurs qui ont fait confiance à BlaBlaCar l'aident également, en mettant leurs réseaux à sa disposition. Résultat : la société est aujourd'hui présente dans 22 pays... « Nous avons ouvert deux tiers des filiales directement, tandis qu'un tiers l'a été avec des partenaires locaux », précise la porte-parole. Tout n'a pas été facile, en particulier en ce qui concerne le recrutement local. En outre, BlaBlaCar a dû s'adapter aux spécificités de chaque pays. « Le niveau de confiance a dû être augmenté », précise ainsi Laure Wagner. En Inde, où la licorne est implantée depuis 2015, le système de castes complique les relations, tandis qu'au Brésil, la violence est élevée - et les enlèvements redoutés. BlaBlaCar a donc dû ajouter une couche supplémentaire de sécurité, avec la vérification des cartes d'identité. Le système est d’ailleurs désormais utilisé non seulement en Inde et en Amérique latine, mais aussi en Turquie par BlaBlaCar.

Monter une filiale à l'étranger est donc un parcours à étapes, qui peut d'ailleurs passer d'abord par la création d'un bureau de représentation, une structure légère qui permet de prendre de premiers contacts sur place, ou d'un contrat avec un agent commercial, avant de se concrétiser par l'implantation d'une filiale. Une stratégie qui ne s'improvise pas - même si elle implique aussi, et surtout, de vouloir « oser »...

3 femmes, 3 conseils