Nawal Ouzren [Sensorion] : « Dans le secteur de la recherche, il ne faut pas se sentir intimidé par les échecs des concurrents »

Nawal Ouzren est directrice générale de la biotech Sensorion depuis 2017. Actuellement en attente des résultats des études cliniques pour le candidat-médicament Sens-401, destiné à traiter la perte d’audition soudaine, elle a répondu à nos questions sur le marché de l’audition. 

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Nawal Ouzren Sensorion

6 millions de personnes souffrent de perte d’audition handicapante en France. C’est pour cette raison que des biotechs travaillent tous les jours sur la recherche et le développement de médicaments destinés à prévenir la perte d’audition et la restaurer. Nawal Ouzren, directrice générale de la biotech Sensorion nous parle du marché et des avancées biotechnologiques en la matière.

Bpifrance : Il y a quelques années encore, on qualifiait le marché de la perte d’audition de désert thérapeutique. Qu’est-ce que cela signifie ?

Nawal Ouzren : Si l’on va voir un médecin pour des problèmes de surdité, notamment une perte d’audition neurosensorielle soudaine ou pour des acouphènes, il y a très peu de solutions. On va tenter la corticothérapie, mais ce traitement obtient des résultats mitigés. Dans certains cas, on peut tenter les aides auditives ou les implants cochléaires pour les patients souffrants de formes les plus sévères. Mais ces amplificateurs de son ne redonnent pas au patient sa qualité de vie antérieure et ne donnent donc pas totale satisfaction.

B : Selon vous, pour quelles raisons ce marché était-il sous-exploité ?

NO : La science n’était pas tout à fait mature dans ce domaine. La compréhension des phénomènes biologiques qui conduisent aux différentes formes de perte d’audition a beaucoup muri, grâce aux biotechs et aux institutions académiques. Souvent je compare le marché de l’audition à celui de l’ophtalmologie d’il y a 20/25 ans. La situation était similaire, mais d’un coup le marché s’est ouvert, grâce à une convergence de plusieurs facteurs : les avancées scientifiques, la présence des investisseurs... Le véritable coup de boost au marché de la perte d’audition, sera donné lorsque les grands groupes pharmaceutiques se lanceront. Ils ont une force de déploiement bien supérieure, ce qui pourra accélérer la construction du marché. 

B : Sans parler de l’opportunité que cela représente, n’était-il pas un peu dangereux de se lancer sur un marché désert qui ne compte pas (ou très peu) de concurrents ?

NO : Dangereux, peut-être pas. Risqué, oui certainement. Et ça l'est encore. J’aime dire à mes équipes que nous n’avons pas de voie tracée, tout est à construire. Nous défrichons les hypothèses scientifiques, mais aussi la manière dont on conçoit les études cliniques, l’engagement des patients, ou encore l’engagement des autorités réglementaires. C’est comme cela que l’innovation se crée. 

B : Est-ce que les échecs des autres biotechs avec leur candidat-médicaments vous ont fait douter de vos propres solutions ?

NO : Non ! Car nous apprenons des erreurs des autres. Nous nous posons certaines questions. Qu’est ce qui a conduit l’étude clinique à l’échec ? Est-ce que c’est purement la biologie qui a péché ? Ou est-ce qu’ils auraient pu le prévenir et l’éviter ? Dans le secteur de la recherche, il ne faut pas se sentir intimidé par les échecs des concurrents. Ce serait vivre dans la peur permanente.

B : Comment on avance sur un marché en construction ?

NO : C’est toute la création d’un écosystème qui fait la différence. Il faut s’entourer des meilleurs, notamment au niveau scientifique. Il faut attirer les personnes qui ont la même vision que nous et être financé sur le long terme. Ce n’est jamais l’histoire d’une personne, d’une société, c’est l’histoire d’un écosystème de support et de soutien. C’est cet écosystème qui a permis à Sensorion de tenir le coup même quand c’était dur. Si nous avions baissé les bras, les employés comme les investisseurs seraient partis vers d’autres horizons. Notre résilience a payé ! En 2019, nous avons reçu un chèque de 20 millions d’euros pour nous financer sur 18 mois. Les 9 mois précédents ont été difficiles car nos ressources s’amenuissaient. 

B : Et aujourd’hui, où en est le marché ?

NO : C’est un moment charnière car les grands acteurs du côté des appareils auditifs et des implants cochléaires commencent à s’intéresser à la biotech. Il en est de même pour les grands groupes pharmaceutiques, qui me convient régulièrement à faire des présentations. Ils se posent et nous posent beaucoup de questions, ils commencent à s’éduquer. Nous sommes sur un marché dans l’expectative, on sent que quelque chose va se passer, nous attendons de voir. En France, 6 millions de personnes souffrent de perte d’audition de manière handicapante. C’est un énorme marché pour l’industrie pharmaceutique, avec l’opportunité de prendre un leadership naturel. 

 

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