Entrepreneuriat féminin

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Pourquoi y a-t-il si peu de dirigeantes de PME en France ?

Les femmes sont sous représentées parmi les dirigeants de PME et ETI. Pour libérer ce réservoir d’entrepreneures en France, encore faut-il corriger les inégalités qui entravent les cheffes d’entreprise ambitieuses. 
 

Anne-Boring-Science-Po
Photo: ©Anne Boring/Sciences Po

Si les femmes représentent plus de 50 % de la population française, elles sont bien moins nombreuses à diriger une PME-ETI. Elles ne sont que 12 % en moyenne à répondre aux enquêtes de Bpifrance Le Lab. Comment peut-on expliquer leur faible représentation et corriger les inégalités constatées ? Quelles sont les difficultés propres à ces cheffes d’entreprises ? Anne Boring, directrice de la chaire pour l’entrepreneuriat des femmes à Sciences-Po et Bernard Fusulier, professeur à l’Université de Louvain, tentent de répondre à ces questions.

Les femmes sont sous-représentées parmi les repreneurs et les créateurs de PME

« Beaucoup d’initiatives portent sur les fondateurs et fondatrices d’entreprise afin d’encourager l’entrepreneuriat pour tous. Mais les autres moyens d’accéder à l’entrepreneuriat sont encore très peu explorés » analyse Anne Boring. Aujourd’hui, on dénombre quatre principales modalités pour devenir chef d’entreprise : la création d’entreprise, la reprise d’entreprise, la succession familiale et la gestion mandatée. Pour chacune de ces voies d’accès, les statistiques laissent entrevoir de fortes distinctions genrées.
La part des femmes qui accèdent à leur poste par succession dans le cadre d’entreprises familiales est bien plus importante que celle des hommes (37 % versus 21 %). De même, les dirigeantes salariées ou mandatées représentent 38 % des cheffes d’entreprise en PME-ETI, une portion légèrement plus élevée que chez leurs homologues masculins (34 %)1.

En revanche, les deux autres voies d’accès à l’entrepreneuriat semblent davantage bouchées pour les femmes. Le profil de fondatrice reste sous-représenté en comparaison avec l’échantillon du sexe opposé. Si 41 % des dirigeants de PME-ETI ont fondé leur entreprise, cette portion tombe à 33 % pour les dirigeantes. Côté reprise d’entreprise, le tableau n’est pas plus reluisant. « Très peu de femmes deviennent des repreneuses, et nous pensons que la moindre densité des réseaux professionnels des femmes peut expliquer en partie cette situation » résume Anne Boring. La faible portion de repreneuses d’entreprises tire donc vers le bas la dynamique de l’entrepreneuriat féminin (19 % chez les femmes, 28 % chez les hommes). 

La double charge des femmes dirigeantes contraint leurs ambitions entrepreneuriales

Même après avoir accédé au poste de dirigeante d’entreprise, les femmes doivent faire face à des défis spécifiques, qui peuvent limiter leurs ambitions entrepreneuriales, le recrutement de collaborateurs et in fine le développement de leur entreprise. C’est notamment le cas de la gestion de leur agenda. « La disponibilité en matière de temps représente la dernière frontière à l’égalité des sexes, argue Anne Boring. L’effet de sélection s’opère alors contre les femmes, déjà sollicitées par leur vie de famille, et d’autant plus lorsqu’elles ont des enfants. Elles voient alors les portes se fermer devant elles au moment d’évoluer vers les carrières les plus rémunératrices, c’est-à-dire celles qui requièrent souvent plus de 35 heures de travail par semaine. » 
Les données tirées de la dernière étude de Bpifrance Le Lab illustrent ce phénomène. Si 39 % des dirigeantes de PME-ETI ont déclaré avoir remis en question la manière dont elles dirigeaient leur entreprise à la naissance de leurs enfants, seuls 27 % des hommes se sentaient concernés par la même idée. Dans un registre similaire, 32 % de ces cheffes d’entreprise ont déclaré s’occuper d’adultes fragiles (personnes âgées, personnes handicapées ou personnes malades), contre seulement 20 % des dirigeants au masculin. 

Malgré leur agenda surchargé, les cheffes d’entreprise continuent donc de prendre soin des autres membres de leur famille et aménagent leurs horaires de travail en conséquence. C’est ce que décrit le sociologue Bernard Fusulier, professeur à l’Université de Louvain : « La question du genre reste fondamentale pour analyser les comportements familiaux. Le sentiment et la volonté d’être responsable du bien-être apporté à ses enfants ou à ses parents vieillissants sont plus marqués chez les femmes que chez les hommes. »
Aux sensibilités personnelles se mêle aussi la pression sociale comme l’explique Bernard Fusulier : « Les visions stéréotypées, du type « femme pourvoyeuse de soins grâce à sa finesse et son application » et « homme pourvoyeur de revenus grâce à sa force et sa rationalité » ont encore la vie dure... Ces visions simplificatrices trouvent leur pendant dans le choix des carrières universitaires. Il y a encore très peu de femmes dans les classes d’ingénieur ou d’informatique par exemple. »

Le conjoint joue un rôle capital dans l’équilibre des dirigeants

Les ménages des dirigeants de PME-ETI ne semblent pas échapper à cette répartition traditionnelle des rôles. Les hommes chefs d’entreprise sont 42 % à vivre en couple avec une personne sans emploi ou occupant un poste à temps partiel. Les femmes dirigeantes de PME-ETI ne sont que 12 % à bénéficier d’une telle situation. Leurs conjoints auraient ainsi plus de mal à tirer un trait sur leur propre carrière et à laisser leur conjointe pourvoir aux finances de la famille. 
Cela explique sans doute pourquoi elles sont 39 % (contre 10 % des hommes) à affirmer ne pas pouvoir déléguer l’intendance de leur foyer à leur conjoint. « Les dirigeantes veulent à la fois la réussite familiale et la réussite entrepreneuriale. Elles savent que c’est dur, mais rechignent aux sacrifices, précise Anne Boring. Pour tenter d’y parvenir, elles s’appuient dès qu’elles le peuvent sur des conjoints prêts à inverser les stéréotypes de genre et de rôle. Aussi, elles sont souvent à la tête de plus petites structures que les hommes. Peut-être limitent-elles leur développement afin de répondre présentes sur tous les tableaux. » 

Cette tendance se lit dans les données statistiques du Lab : les dirigeantes sont sur-représentées à la tête d’entreprises de moins de 50 salariés par rapport à leurs homologues masculins (écart de dix points constaté).
Pour faire progresser le nombre de dirigeantes de PME-ETI et se rapprocher d’une parité idéale, les enjeux sociaux s’enchevêtrent aux défis économiques. Les réponses en matière d’éducation, de formations professionnelles et d’accompagnement doivent se combiner pour offrir à tous et toutes la possibilité de nourrir les mêmes ambitions entrepreneuriales.

Pour aller plus loin, retrouvez l'étude "Chef.fe d'entreprise, chef.fe de famille"sur le site de Bpifrance Le Lab. 
 

1- Ces chiffres sont tirés de l’étude « Chef.fe d'entreprise, chef.fe de famille ».