Relocalisation de la filière textile française : le combat du groupe Velcorex

Depuis 10 ans, Pierre Schmitt, PDG du groupe Velcorex, œuvre pour la sauvegarde et la réhabilitation du savoir-faire textile français. Après avoir racheté trois entreprises de la filière dans le Haut-Rhin, évitant ainsi leur disparition, l’entrepreneur s’attaque aujourd’hui à la filature de lin, qu’il compte bien faire renaitre de ses cendres dans l’Hexagone. Portrait.

  • Temps de lecture: 5 min
Velcorex

« Avant qu’on prenne la décision de rapatrier les filatures de lin en France, tout le monde s’accordait à dire que la filière était morte. Aujourd’hui, c’est avec fierté que je peux dire que nous aurons, d’ici deux à trois ans, cinq filatures opérationnelles en France, et plus d’une dizaine à horizon 2030 ! », affirme Pierre Schmitt PDG du groupe Velcorex.
Il y a deux ans, quand son partenaire de longue date Schlumberger, un producteur de machines textiles annonce à Pierre Schmitt que les dernières machines de filature produites par l’entreprise viennent de stopper leur activité, il ne fait aucun doute pour l’entrepreneur qu’il faut agir et empêcher la disparition « d’un patrimoine historique vieux de deux siècles ».

Rétablir un écosystème et un savoir-faire français

Un patrimoine qui fait écho aux grandes heures de la ville de Mulhouse qui, sous la révolution industrielle, brille par la qualité et la richesse de sa filière textile. Une histoire qui s’étiole pourtant dans les années 90 avec la délocalisation, l’ouverture des frontières et la mondialisation… Surpris par cet engouement et « par cette naïveté de croire qu’en délocalisant on pourrait garder le contrôle », Pierre Schmitt décide de « partir au charbon » pour préserver ce qui peut l’être.
Il faut dire que le dirigeant, ancien cadre chez DMC (l’un des plus grands groupes de textile et industriel européens) n’en est pas à son premier coup d’essai ! En à peine dix ans, il rachète progressivement trois entreprises de textile du Haut-Rhin, évitant ainsi leur disparition et le licenciement de bon nombre d’employés de la région. L’une de ces belles endormies est Emanuel Lang, acquise en 2014. Spécialisée dans les tissus à base de fils teints et popeline de coton, l'entreprise s’est depuis deux ans ouverte au tissage des matières naturelles telles que le lin, le chanvre et l’ortie.

C’est donc accompagné de toute son équipe que l’entrepreneur se rend en Hongrie, où se trouve les dernières machines afin de les rapatrier en Alsace. « Une fois le matériel installé, nous avons eu la chance de bénéficier du savoir-faire de certains retraités de Schlumberger qui ont formé notre équipe. Sans leur aide, il ne fait aucun doute que nous aurions eu beaucoup de mal à appréhender ces machines » affirme Pierre Schmitt. Un projet soutenu par l’Etat, le ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance et Bpifrance dans le cadre de France Relance.
Une relocalisation source d’emploi pour la région, mais pas que ! « Nous constatons avec plaisir que bon nombre d'industriels suivent notre exemple et développent des projets similaires sur tout le territoire, notamment dans le nord de la France, en Normandie, en Bretagne et en Occitanie ». 

La persévérance : moteur de la création

Déterminé et passionné, ça oui, Pierre Schmitt l’a toujours été. Quand il réalise en 1998 que la nouvelle stratégie de DMC passera par la délocalisation, c'est sans hésitation qu'il lance aux côtés d’Éliane Wolf, Philea, une entreprise de création artistique et technique autour de la viscose. La société réalise les trois quarts de son chiffre d’affaires à l’export, notamment au Japon et aux Etats-Unis, des pays très portés sur le savoir-faire français. En 2010, Velcorex, une entité du groupe DMC, est liquidée. Pierre Schmitt tente alors l’impossible pour sauver la société et ses 136 salariés. Après 9 mois d’une longue bataille juridique, l’entreprise redémarre avec une cinquantaine de personnes (tous des anciens employés de Velcorex). Elle en compte aujourd’hui plus du double.
Une stratégie gagnante qui sera également appliquée à l’entreprise Tissage des Chaumes, fournisseur historique de la maison Chanel, que l’entrepreneur reprendra pour un euro symbolique, mais qui en réalité lui coûtera entre 1.5 et 2 millions d’euros d’investissement pour retrouver le leadership au niveau de la création et de l’image.

C’est encore et toujours grâce à sa persévérance que Pierre Schmitt a su rapprocher ingénieurs et chimistes de la région mulhousienne pour lancer une filière de polymère et thermoplastique dans le but de faire de la France le leader mondial des matériaux biosourcés du futur.
L’entrepreneur se bat également pour l’industrie textile se détache de l’utilisation du coton, parfaitement conscient de ses dégâts environnementaux. « Il faut savoir qu’un jean en coton consomme huit mille litres d’eau alors qu’un jean en lin en consomme seulement 80 litres », affirme l’entrepreneur. « Je suis persuadé que le textile – moteur de la première révolution industrielle – peut devenir le moteur de la révolution écologique. C’est dans cette optique que je souhaite progressivement remplacer le coton par le lin, le chanvre ou de l’ortie ».