Entrepreneuriat féminin

Vies familiale et entrepreneuriale : quel équilibre pour les dirigeantes en 2022 ?

Les femmes cheffes d’entreprise favorisent davantage la porosité entre leurs univers privés et professionnels. En comparaison avec leurs homologues masculins, elles semblent notamment plus s’appuyer sur leur conjoint pour mener de front leur vie de dirigeantes. A moins qu’elles ne subissent cet état de fait ?
 

JOY
Jennifer Lawrence dans le film "Joy-© DR

75 % des dirigeants cherchent à séparer vie familiale et vie entrepreneuriale, contre 69 % des dirigeantes. C’est ce que révèle l’étude de Bpifrance Le Lab « Chef.fe d'entreprise, chef.fe de famille ». Si cette différence femme-homme semble négligeable, elle souligne que les cheffes d’entreprise paraissent s’accommoder d’une plus grande porosité que les hommes entre leur famille et leur entreprise. Et les analyses détaillées des résultats de l’enquête du Lab permettent d’étayer cette idée.

« Les femmes peuvent davantage se tourner vers la consultation d’avis extérieurs pour consolider leurs intuitions »

Au sein de leur foyer, 69 % des femmes sollicitent activement les remarques de membres de leur famille pour enrichir leurs décisions de cheffe d’entreprise. Chez les hommes, cette proportion n’est que de 55 %. Comment interpréter cet écart ? Selon Anne Boring, directrice de la chaire de l’entrepreneuriat féminin à Sciences Po, plusieurs pistes méritent d’être explorées : « Les femmes peuvent davantage se tourner vers la consultation d’avis extérieurs pour consolider leurs intuitions ; elles sont aussi peut-être plus à même de reconnaître l’aide reçue dans ce cadre. Mais à mon sens, c’est l’activité du conjoint qui va largement déterminer les discussions au sujet de l’entreprise, à l’intérieur du couple. »

Le taux d’activité constaté chez les conjointes et conjoints de dirigeants permet en effet de comprendre certaines habitudes divergentes selon le sexe : 88 % des conjoints de cheffes d’entreprise occupent un poste à temps plein, contre 56 % des conjointes de dirigeants. 
Autrement dit, près de neuf cheffes d’entreprise sur dix peuvent s’entretenir chez elles avec des personnes insérées dans le monde du travail et menant leur propre carrière.

Occuper un poste à plein temps donnerait alors des gages quant à la crédibilité de ces interlocuteurs. Parmi les dirigeantes de PME-ETI en couple, 69 % estiment que leur conjoint dispose d’une bonne compréhension de leurs enjeux professionnels. Et seuls 54 % des dirigeants hommes partagent cet avis. « Si la conjointe du dirigeant n’occupe pas d’emploi, ou si elle occupe un poste éloigné des grands enjeux de direction, alors peut-être qu’elle n’apparaît pas comme une interlocutrice de qualité, avec des réflexions à valeur ajoutée. A contrario, les femmes avec des conjoints qui occupent des postes à temps plein peuvent être tentées de recueillir leurs avis, car elles estiment leurs idées et leur vision des choses. », précise Anne Boring.

Le conjoint des dirigeantes : un salarié comme un autre ?

Les dirigeantes de PME-ETI peuvent encore aller plus loin dans ce sens, et solliciter leur conjoint pour des tâches plus concrètes dans le cadre de leur activité entrepreneuriale. Près d’un tiers des cheffes d’entreprise en couple reconnaissent que leur conjoint rend des services non-rémunérés à leur entreprise (contre seulement 19 % chez les dirigeants hommes). La simple discussion informelle peut alors laisser place à des prestations tangibles, soit pour soulager exceptionnellement les équipes opérationnelles, soit pour corriger certains déséquilibres chroniques de l’entreprise.

La perméabilité entre le couple des dirigeantes de PME-ETI et l’entreprise peut aussi prendre un tour plus institutionnalisé. Parmi celles en couple et ayant un conjoint actif, 37 % précisent que leur moitié occupe un emploi dans leur entreprise. Ce goût pour le mélange des genres ne concernerait que 23 % de leurs homologues masculins. Encore une fois, les dirigeantes de PME-ETI sont plus promptes à superposer leur vie entrepreneuriale et leur vie de couple et les hypothèses pour expliquer cette tendance se bousculent sans pouvoir donner entièrement satisfaction : moyen de préserver les sensibilités du conjoint ? Volonté de tirer l’entreprise vers le haut à moindre coût ? Dialogues précieux avec un partenaire de confiance ? 

Par ailleurs, on observe que les entrepreneures travaillant avec leur conjoint sont proportionnellement plus nombreuses à les nommer à un poste de direction à leurs côtés (75 % versus 54 % pour les dirigeants hommes). Là encore, les femmes semblent accorder davantage de confiance et de responsabilités à leur compagnon ou entreprennent davantage avec eux. 

Un enchevêtrement pour le meilleur et pour le pire

Au-delà du seul conjoint, les cheffes d’entreprise semblent aussi bénéficier de l’appui de toute leur famille. 72 % des interrogées estiment que leurs proches s’impliquent pour les aider à atteindre leurs objectifs entrepreneuriaux (contre 59 % chez les hommes). Peut-être davantage ouvertes sur leurs enjeux entrepreneuriaux, elles parviennent à mobiliser plus facilement leur famille, déjà sensibilisée à leurs problématiques, lorsqu’elles en ont besoin. 

Un autre facteur peut expliquer cette importante présence familiale dans le quotidien des entrepreneures : la plus forte propension des dirigeantes de PME-ETI à accéder à leur poste par le biais d’une succession familiale (37 % versus 21 %). Dans ce cas de figure répandu, l’environnement de l’entreprise familiale pourrait imposer aux cheffes d’entreprise une combinaison des univers personnels et professionnels. Leurs choix individuels pourraient alors s’effacer derrière les obligations soulevées par un certain sens pratique. Pour ces femmes, bâtir des projets familiaux et entrepreneuriaux qui se nourrissent l’un de l’autre est sans doute un moyen privilégié pour articuler harmonieusement ces deux sphères. Mais la convergence des deux mondes n’est pas sans risque pour l’équilibre global des dirigeantes : les tensions de la sphère professionnelle peuvent alors déborder plus facilement vers la sphère familiale, et vice-versa. Le chevauchement des conflits constitue alors une menace à surveiller de près, tant pour protéger le bien-être familial que sa liberté entrepreneuriale.

Pour aller plus loin, retrouvez l'étude « Chef.fe d'entreprise, chef.fe de famille » sur le site de Bpifrance Le Lab.