Biologie de synthèse : les promesses du bidouillage des gènes

La biologie de synthèse apporte des solutions à un nombre croissant de problématiques et défis contemporains, que ce soit en matière de santé, d'énergie ou d'alimentation. Des microbes mangeurs de plastique à une nouvelle génération de virus permettant aux antibiotiques de pénétrer les défenses bactériennes, la biologie de synthèse affiche de nombreuses promesses. Explications.

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Les promesses du bidouillage des gènes

Des microbes mangeurs de plastique à une nouvelle génération de virus permettant aux antibiotiques de pénétrer les défenses bactériennes, la biologie de synthèse affiche de nombreuses promesses.

« La biologie de synthèse représente un changement de paradigme de la façon d'aborder et de faire de la biologie et un changement dans les finalités » explique Cyrille Pauthenier, président de Abolis, société qui développe des micro-organismes modifiés capables de produire des molécules chimiques par fermentation de biomasse.
Avec les biotechnologies classiques, il s'agit de reprogrammer ou ajouter un gène pour qu'un organisme, une bactérie ou une levure par exemple, remplisse un usage précis. La biologie de synthèse ajoute une dimension supplémentaire dans la complexité en assemblant plusieurs composants génétiquement modifiés. On parle ainsi d'ingénierie biologique.

En médecine, des levures issues de la biologie synthétique sont notamment utilisées pour stimuler des cellules. « La biologie de synthèse, c'est du génie biologique à visée industrielle » résume Pierre Tambourin, directeur général de Genopole, le bioparc, basé à Evry (Essonne) et dédié à la biotechnologie et à la génétique. « La recherche en biologie de synthèse se prête particulièrement bien à la collaboration avec l'industrie » ajoute François Képès, directeur de recherche au CNRS, cofondateur et directeur du Programme d'épigénomique (Genopole), responsable d’équipe à l'institut de Biologie des systèmes et de synthèse (iSSB). « L'interface entre la recherche amont, qui contribue au socle de connaissances, et les industriels, qui appliquent les concepts et méthodes, se fait naturellement ». Les applications touchent à de nombreux domaines : de la santé à l'énergie, en passant par la chimie et l'alimentation.

Un secteur en émergence

En France, quelques sociétés illustrent l'émergence du secteur. C'est le cas notamment de Global Bioenergies. Fondée en 2008, la PME produit notamment de l'isobutène, un gaz extrait traditionnellement du pétrole, en reprogrammant génétiquement une bactérie.

C'est aussi le cas de Metabolic Explorer créée en 1999. La société développe des procédés de production de molécules chimiques par voie biologique via des micro-organismes. Ces éléments chimiques entrent dans la composition de biens de consommation courante (fibres textiles, additifs alimentaires pour animaux, résines, ou encore des peintures et solvants) et sont ainsi produits avec des procédés plus respectueux de l'environnement.

Ces sociétés pionnières, comme les nombreuses start-ups qui se lancent dans le domaine, connaissent des temps de développement assez longs. « Dans le monde de la manipulation du vivant, les délais de développement d'innovations sont plus longs que dans les TIC (2 à 3 ans), mais plus courts qu'en médecine (10 ans) » souligne Pierre Tambourin. Cette dimension est une caractéristique importante du secteur.

Le passage du tube à essai au bioréacteur, soit l'outil de production industrielle des molécules issues de cellules génétiquement modifiées, et la question de la rentabilité face aux solutions existantes sont deux autres caractéristiques.
Global Bioenergies par exemple n'a entamé l'industrialisation de son procédé élaboré en laboratoire qu'après une levée de fonds de 23 millions d’euros réalisée mi-2013. Aujourd'hui, le développement de la société est freiné par le faible coût du pétrole qui rend sa solution moins intéressante économiquement.

Des freins au développement

Ces caractéristiques influent sur le développement du secteur. Si des start-up se créent et que des grands groupes commencent à lancer des programmes, « les financements industriels restent limités et ne sont pas à la hauteur des enjeux » estime François Képès.

Pour Cyrille Pauthenier, « Tout le monde suit les avancées et regarde l'évolution du secteur, mais encore trop peu d'industriels lancent des programmes de R&D ». En cause notamment, les montants et le temps nécessaires à la R&D. « Les capital-risqueurs et les industriels ne sont pas prêts à mettre 10 millions d'euros sur la table avec un retour sur investissement à 10 ans, alors que c'est nécessaire » poursuit Cyrille Pauthenier. Certains s'y risquent pourtant, comme, en France, les groupes Total ou Michelin.

Pour les start-up, les modèles de développement s'appuient sur la collaboration. Abolis a par exemple noué des partenariats industriels et de R&D avec ses premiers clients qui prennent en charge une partie du risque réticence des grands industriels à afficher leur recours à la biologie de synthèse. « Après le rejet des OGM en Europe, les secteurs alimentaire et pharmaceutique craignent les réactions du grand public » indique François Képès. Le travail de pédagogie reste à mener auprès du grand public car les promesses du secteur répondent à de nombreux enjeux contemporains en matière de transition énergétique, de santé ou d'alimentation. « Toutes les briques technologiques sont là. Il faut désormais les assembler et les monter » conclut Cyrille Pauthenier.